
Éthique et management en santé : un colloque national pour explorer de nouvelles approches
Du 6 au 8 novembre 2024, l’espace de réflexion éthique Auvergne-Rhône-Alpes (EREARA), en collaboration avec la conférence nationale des espaces de réflexion éthique régionaux (CNERER), organise, à Lyon, le colloque national annuel des espaces de réflexion éthique régionaux.
Le thème retenu est : Éthique et management, quelle(s) approche(s) pour quel(s) management(s) ? Les participants questionneront les pratiques managériales actuellement en vigueur dans les structures de soin et exploreront la problématique suivante : en quoi et pourquoi une approche éthique pourrait influer sur ces pratiques, et dans quelles perspectives ?
Cet événement est l’occasion de décrire et d’analyser les liens intrinsèques entre Ethique et Management, dans le but « d’éclairer pour améliorer, de détailler pour mieux comprendre et de cheminer collectivement dans ce travail jamais définitif qu’est celui de l’éthique ».
Cette année, encore, l’EREGIN participera à cette rencontre annuelle. Afin de définir puis de préparer au mieux sa communication et son intervention, nous avons mis en place un groupe de travail, composé des membres du CO (conseil d’orientation) et de la CSEGIN (cellule de soutien éthique de la Guadeloupe et des Iles du Nord). Les rencontres sont planifiées jusqu’à la fin du mois d’octobre.
Éthique du management en santé : comment répondre aux défis d’un système en crise
Face à la pénurie de professionnels et à la tension concernant les ressources, l’éthique managériale en santé doit aujourd’hui se réinventer pour traverser une crise sans précédent.
Un management éthique pourrait se définir comme un management qui intègre les principes éthiques dans toutes les décisions et actions de l’organisation. Il repose sur des valeurs telles que l’intégrité, la transparence, la justice, le respect et la responsabilité. Dans le domaine de la santé, il est essentiel, car il touche directement la qualité des soins accordée aux patients et le bien-être du personnel. Il est d’autant plus important aujourd’hui que les systèmes sanitaires traversent une période de crise, marquée par des problèmes de recrutement, une perte de vocation et des ressources limitées.
Cette crise latente, accentuée par la période Covid, replace les professionnels de santé au centre des attentions. « Prendre soin de ceux qui soignent », résume parfaitement les principaux enjeux éthiques autour du management en santé actuellement.
Pendant longtemps, le manager se contentait d’organiser la façon de prendre soin des patients. Ces dernières années, la donne a changé. Pour garantir une prise en charge optimale des patients, le manager doit, avant tout, se préoccuper des professionnels et veiller à leur offrir des conditions de travail acceptables.
Car en plus d’exercer un travail pénible sur le plan psychique et physique, les soignants doivent faire face, depuis plusieurs années, à un sous-effectif chronique et au manque de moyens. Cette vulnérabilité accrue doit donc être prise en compte et accompagnée d’un point de vue managérial.
Crise du recrutement et qualité des soins
Les difficultés de recrutement et la perte de vocation génèrent, en effet, de nouveaux questionnements et des problématiques différentes. Il y a davantage d’offres que de demandes et les directions ne sont plus en position de force. Auparavant, une structure misait sur le projet et les valeurs d’établissement pour attirer et garder son personnel. Aujourd’hui, le contexte managérial de proximité importe beaucoup plus.
La crise de recrutement pose également la question de la qualité des soins. Faute de personnel suffisant, certains professionnels travaillent, par exemple, dans des services à haute technicité alors qu’ils n’ont pas les compétences requises. Sans oublier le cercle vicieux du sous-effectif qui entraîne de l’insatisfaction et de l’épuisement, donc davantage de départs et par conséquent de sous-effectif.
La direction doit donc impérativement s’attaquer aux défis du recrutement tout en tenant compte de la vulnérabilité des soignants, ainsi que de leurs intérêts, souhaits et préférences.
Dilemme éthique quant à la continuité des soins
La perte de sens ou de vocation doit aussi être prise en considération en termes de management. Le monde du travail change et évolue. Les nouvelles générations n’accordent plus autant d’importance à l’épanouissement sur le plan professionnel. Les jeunes professionnels sont moins enclins à dépasser les attentes et à effectuer des heures supplémentaires. Une réalité qui soulève des questions concernant la continuité des soins.
Cette problématique se vérifie notamment dans certains services en souffrance où le nombre de personnels formés chaque année est très limité. C’est le cas en radiothérapie (traitement du cancer) avec les manipulateurs. À une époque, les heures supplémentaires étaient courantes et majoritairement acceptées afin que tous les patients du jour puissent bénéficier de leur traitement. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Nombreux sont les professionnels qui refusent, priorisant désormais leur vie privée sur leur vie professionnelle. D’un point de vue managérial, un véritable dilemme éthique se pose quant à la continuité des soins : que faut-il privilégier ? L’intérêt supérieur du patient ? Le bien-être du personnel ? Le manager doit garantir que chaque soignant trouve du sens dans son travail, tout en préservant la signification du soin pour le patient. Cependant, il arrive que l’importance accordée à l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle entre en contradiction avec les exigences nécessaires pour garantir des soins de qualité aux patients. Au dirigeant de faire les choix légitimes.
La démarche de réflexion éthique : un outil pour s’adapter
Autre phénomène émergent : la notion de souffrance éthique, conséquence de la multiplicité des situations complexes couplées à une organisation dégradée du système de santé, au turnover et au manque de moyens. Beaucoup de soignants se sentent mis à mal dans leurs valeurs.
Par exemple, des professionnels en sous-effectif se retrouvent à effectuer des soins qui ne correspondent plus à leur niveau de compétence. La qualité fournie est alors bien en deçà de ce qui donne du sens à leur travail. Ces situations peuvent être extrêmement difficiles, les confrontant à des dilemmes éthiques très éprouvants. Ils en viennent à se dire que leurs valeurs de soignants ne sont plus respectées. Ainsi, de nombreux médecins hospitaliers n’hésitent plus à quitter le système de santé en dénonçant « une maltraitance institutionnelle ».
Dans ce contexte, il en va de la responsabilité managériale de proposer des outils aux professionnels pour parvenir à s’adapter et à surmonter cette souffrance. Le développement de la démarche de réflexion éthique dans les établissements est une des solutions à envisager.
La réflexion éthique apporte un bénéfice aux personnes soignées et accompagnées, en garantissant des décisions respectueuses de leur situation complexe. De plus, elle améliore la qualité de vie au travail des soignants. Lorsque la relation de soin est perturbée par un dilemme éthique, cette démarche permet de mieux vivre des situations complexes en donnant du sens à des choix difficiles.
L’outil de questionnement éthique peut également aider le manager à aborder collectivement des choix complexes, mais aussi à gérer ses propres dilemmes rencontrés dans l’accompagnement de ses équipes.
Face à ces problématiques naissantes et contemporaines (crise du système, complexité des situations, conflits entre les différents intérêts, etc.), le rôle du manager implique de revoir sa propre conception des soins et donc sa position au sein de l’institution et vis- à-vis des professionnels de santé.
Cela suscite un vif débat éthique, car cela signifie dialectiquement que, pour améliorer une situation à court terme et de manière temporaire, il est nécessaire d’exercer une pression supplémentaire sur ceux qui sont déjà très sollicités.
Le domaine du management en santé est donc traversé par des dilemmes éthiques, caractérisés par des choix difficiles où il faut inévitablement faire des sacrifices. Toutefois, il est crucial de donner un sens à ces décisions. Malheureusement, les managers ne sont pas toujours préparés à affronter cette dimension, ni formés pour le faire efficacement.
Pour une éthique de la reconnaissance dans le management en santé
Colloque national des ERER : l’EREGIN prépare sa contribution
L’espace de réflexion éthique de Guadeloupe et des Îles du Nord (EREGIN) participera activement au prochain colloque national des espaces de réflexion éthique régionaux (ERER). Organisé du 6 au 8 novembre 2024 à Lyon, cet événement mettra en lumière échanges et réflexions autour de l’éthique et du management, thème retenu cette année.
Les enjeux de la reconnaissance dans le travail du soin
La communication proposée par l’EREGIN a été accueillie favorablement par le comité d’organisation. Elle portera sur les enjeux de la reconnaissance dans le travail du soin (voir résumé de la communication ci-dessous). Désormais inscrit au programme de l’événement, l’EREGIN prépare sa communication grâce au groupe de travail constitué des membres du conseil d’orientation (CO) de l’EREGIN et des membres de la cellule de soutien éthique de Guadeloupe et des Iles du Nord (CSEGIN).
Pour une éthique de la reconnaissance dans le management en santé
Les membres du groupe de travail dédié ont réalisé un débat en octobre dernier, dans le cadre du futur colloque national des ERER à Lyon, et dans la perspective de préparer la communication prévue à cet effet. Ce débat a porté précisément sur les enjeux de la reconnaissance dans le travail du soin : Pour une éthique de la reconnaissance dans le management en santé. Une synthèse des échanges de ce débat a été rédigée et elle a justement permis aux intervenants du colloque à venir de s’en inspirer pour préparer leur communication. (voir synthèse du débat ci-dessous).
Dr Corinne Sainte-Luce, directrice adjointe de l’EREGIN et Franck Garain, docteur en sociologie de la santé et membre du CO, porteront tous deux la voix de l’EREGIN lors de ce colloque.

Notre regard sur le colloque national des ERER, édition 2024
L’EREGIN a participé du 6 au 8 novembre 2024, à Lyon, au colloque national des Espaces de réflexion éthique régionaux (ERER), remarquablement bien organisé par l’Espace de Réflexion Ethique Auvergne – Rhône-Alpes (EREARA), en collaboration avec la Conférence Nationale des Espaces de Réflexion Ethique Régionaux (CNERER), à partir d’une double intention : dresser le bilan des 20 ans de la loi de bioéthique portant création des espaces de réflexions éthiques régionaux et surtout, réfléchir sur les imbrications entre l’éthique et le management.
Les interventions, pluridisciplinaires, richement documentées ont permis de faire l’état des lieux, de préciser les approches notionnelles et leur évolutions, appuyés par des retours d’expérience dévoilant les difficultés, mais aussi les avancées et les perspectives de l’approche du management par l’éthique, et son déploiement dans les établissements sanitaires et médico-sociaux.
Notre contribution dont l’élaboration a été commune, a souhaité appréhender et illustrer la reconnaissance au travail comme enjeu managérial, au prisme d’une démarche éthique, en réponse à une demande largement exprimée quelles que soient les organisations, le secteur de la santé inclus.

L’hôpital public doit concilier qualité des soins et logique de performance au risque d’altérer le sens du travail des soignants. Comment préserver l’éthique du soin dans ce contexte ? Noélie Alvarade, psychologue clinicienne, apporte son éclairage.
La logique de résultats a pris une place importante dans l’hôpital public. Quelles stratégies pourraient être mises en place pour faciliter l’accueil de cette notion économique dans les soins et éviter une perte de sens chez les professionnels de santé ?
La logique de résultats, avec son orientation vers la performance et l’efficacité, devient incontournable dans l’hôpital public. Cependant, elle peut, en effet, générer une perte de sens pour les soignants si elle n’est pas bien intégrée dans leur mission. Pour éviter ce risque, plusieurs stratégies peuvent être adoptées.
Il est, dans un premier temps, important d’associer les soignants à la définition des critères de performance. En impliquant les professionnels de santé dans la création des critères d’évaluation, on diminue l’écart entre la réalité du travail et les attentes de performance. Cela leur permet d’apporter leur perspective de terrain, rendant les indicateurs plus pertinents et mieux acceptés.
Il faut ensuite créer des espaces de discussion et de réflexion collective. Ces moments d’échange sont essentiels pour ajuster les pratiques et faire remonter les difficultés rencontrées. Penser également à solliciter davantage l’EGERIN pour des discussions sur des dilemmes éthiques afin d’explorer des solutions qui respectent à la fois les valeurs de soin et les exigences de performance. Cette démarche aide à garantir des décisions éthiques partagées et cohérentes dans les situations complexes.
Enfin, l’intégration des critères qualitatifs est une notion à considérer. En effet, en incluant la satisfaction des soignants et des patients parmi les indicateurs, nous renforçons le sens du travail et l’aspect humain des soins. Les soignants se sentent ainsi reconnus dans leurs efforts, ce qui contribue à leur bien-être et à leur motivation, tout en soutenant la logique de résultats.
Quel type de gestion pourrait, selon vous, à la fois respecter les exigences du soin et celles d’une bonne organisation ?
Une gestion hospitalière équilibrée doit prendre en compte les besoins fondamentaux des soignants pour garantir un cadre de travail qui soit à la fois humain et efficace. Ces besoins incluent principalement l’autonomie, la compétence et le sentiment d’appartenance.
Encourager une autonomie balisée par des principes bioéthiques, tels que le respect de la dignité des patients, la bienfaisance et l’équité, permet aux soignants d’adapter les soins aux besoins spécifiques de chaque patient et de faire face aux imprévus. Cette autonomie, responsable et encadrée, renforce leur engagement et leur satisfaction, tout en maintenant une qualité de soin adaptée et réactive.
La gestion doit valoriser et soutenir le développement des compétences des soignants. Cela inclut non seulement l’utilisation optimale de celles qu’ils ont déjà, mais aussi des opportunités régulières de formation continue et d’acquisition de nouvelles aptitudes. Cette approche permet aux soignants de progresser et d’évoluer dans leur carrière, tout en garantissant des soins de qualité et une expertise toujours actualisée.
Enfin, créer un sentiment de cohésion au sein des équipes, par des activités de team building ou des initiatives visant à renforcer les liens sociaux, est essentiel. Un fort sentiment d’appartenance réduit les conflits interpersonnels et contribue à un climat de travail positif et solidaire. En instaurant un environnement de travail inclusif et bienveillant, la gestion favorise le bien-être et la motivation des soignants.
En complément de ces besoins fondamentaux, une bonne gestion doit impérativement intégrer une démarche de prévention des risques psychosociaux (RPS), conforme aux obligations du Code du travail. Cette démarche s’articule autour d’une approche tripartite (impliquant la direction, les salariés et les instances représentatives du personnel), systémique (agissant au niveau individuel, collectif et organisationnel) et globale (couvrant les différents niveaux de prévention existants : primaire, secondaire et tertiaire).
Cette démarche de prévention vise à éradiquer ou réduire les troubles psychosociaux, tels que le harcèlement moral et sexuel, les conflits interpersonnels, les agressions et le stress chronique, en agissant sur les six facteurs de risques identifiés : l’intensité et la complexité du travail, le manque d’autonomie, un climat social dégradé, des exigences émotionnelles élevées, les conflits de valeurs, et l’insécurité de la situation de travail.
En respectant et en appliquant cette démarche de prévention, l’hôpital peut non seulement répondre aux exigences légales, mais aussi créer un environnement de travail plus sain, plus sécurisé et plus respectueux des valeurs humaines du soin. Ce cadre de gestion permet de concilier les objectifs organisationnels et économiques avec la qualité de vie au travail et le bien-être des soignants, garantissant ainsi un équilibre entre performance et humanité.
Comment les récentes réformes du système de santé ont-elles impacté la qualité de vie au travail des soignants ? Quels conseils donneriez-vous pour préserver l’autonomie et le sens du travail des soignants dans ce contexte ?
Les réformes récentes, axées sur la performance et la réduction des coûts, ont souvent dégradé la qualité de vie au travail des soignants. Elles ont entraîné une intensification du travail, un manque d’autonomie et une pression accrue, parfois au détriment du sens de leur mission.
Pour préserver leur autonomie et leur engagement, il est essentiel d’impliquer les soignants dans les décisions en les intégrant à la définition des objectifs et des critères de performance, afin de réduire l’écart entre les attentes et la réalité du terrain. Il faut renforcer la prévention des RPS, soutenir leurs besoins fondamentaux comme je l’ai expliqué précédemment et adopter une évaluation de la performance équilibrée qui intègre des critères qualitatifs, valorisant la satisfaction des soignants et des patients.
Il est aussi conseillé de proposer des formations en intelligence émotionnelle. Renforcer l’intelligence émotionnelle des soignants leur permet de mieux gérer leurs émotions et les interactions difficiles. Ces compétences favorisent la reconstruction de liens de confiance et restaurent un climat de travail harmonieux, essentiel après des traumatismes répétés (incendies successifs) ou des tensions sociales et conditions de travail dégradées par le COVID.
La formation aux PSSM (Premiers Secours en Santé Mentale) permet également aux soignants de repérer et d’accompagner les signes de détresse psychologique chez leurs collègues et patients. Ce soutien immédiat est crucial dans un contexte de traumatismes récents, renforçant l’entraide, la résilience des équipes et une vigilance accrue pour les patients.
En mettant l’humain au cœur des décisions, ces actions permettent de concilier les exigences organisationnelles avec les valeurs du soin, tout en préservant le bien-être des soignants. Ce qui constitue l’une des missions de l’EREGIN.
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