25 septembre 2025

Maastricht III : entre avancée médicale et dilemme éthique

Prochainement opérationnelle au CHU de Guadeloupe, la procédure Maastricht III permet le prélèvement d'organes après une décision d’arrêt ou de limitation thérapeutique. Une avancée médicale précieuse dans un contexte de pénurie de greffons, mais qui invite aussi à une vigilance sur le plan éthique.

Longtemps évitée en France pour des raisons, en grande partie, éthiques, la procédure Maastricht III a été autorisée à titre expérimental en 2014, puis officialisée en 2016. Elle sera opérationnelle au CHU de Guadeloupe avant la fin de l’année 2025. Cette procédure permet de prélever des organes après un arrêt cardiaque contrôlé, c’est-à-dire sur des patients dont les traitements sont arrêtés de manière médicale et encadrée, lorsque leur poursuite est jugée déraisonnable. Cette procédure vient compléter les pratiques de prélèvement sur donneur dit en « mort encéphalique », régies par d’autres critères médicaux et surtout indépendantes d’une décision de limitation ou d’arrêt thérapeutique (LATA).
En 2022, les donneurs, suite à un arrêt cardiaque consécutif à une limitation ou à une interruption des thérapeutiques, représentaient environ 10 % des donneurs décédés (contre 5 % en 2017), selon le rapport annuel médical et scientifique de l’Agence de la biomédecine. 

La procédure est encadrée sur le plan médico-légal et s’inscrit dans le cadre strict défini par les lois de bioéthique pour tout prélèvement d’organes : le consentement présumé (toute personne est considérée comme donneuse sauf si elle s’y est opposée de son vivant), la gratuité et l’anonymat. 

État végétatif chronique

Si les pratiques de prélèvement et de greffe d’organe(s) ont fait l’objet de nombreux débats depuis leur apparition, Maastricht III a cependant, suscité des interrogations particulières sur le plan éthique. En effet, cette procédure repose sur une articulation délicate entre deux décisions médicales : celle d’arrêter les traitements de suppléance vitale d’un patient en limite thérapeutique et celle de prélever ses organes après son décès pour les greffer. Le risque est celui d’un glissement d’intention entre ces deux processus qui doivent pourtant rester strictement indépendants. En d’autres termes, la procédure exige que la décision d’arrêter les traitements ne soit jamais influencée par la perspective de prélever des organes. Ce cloisonnement constitue un garde-fou essentiel. 

Les protocoles de prélèvement Maastricht III prévoient ainsi le respect des procédures collégiales à l’origine de toute décision de LATA, ainsi qu’une séparation des équipes de soin et des équipes de prélèvement.  Dans la pratique toutefois, la répartition du temps de travail des professionnels sur les deux équipes ou la porosité liée à l’organisation et aux ressources humaines, rend d’autant plus délicat le respect strict de l’indépendance entre les processus et s’appuie sur une forte éthique professionnelle. 

Maastricht III continue d’interroger également ce qui concerne le périmètre précis des situations où le prélèvement serait légitimement envisageable ou non. C’est le cas, par exemple, des personnes en état végétatif chronique, souvent au cœur des débats éthiques liés à la procédure Maastricht III, en raison du caractère sensible des décisions de LATA, comme l’a illustré la situation de Vincent Lambert en France.

Une réflexion globale de l’accompagnement de la fin de vie

Au-delà de l’enjeu éthique majeur de l’intégrité décisionnelle, Maastricht III invite aussi à penser l’impact des procédures sur les proches et l’accompagnement de la fin de vie. Le protocole reste technique, guidé par des contraintes organisationnelles et temporelles strictes, qui peuvent interférer avec la temporalité et le vécu des proches au moment du décès. Ce type de prélèvement doit aussi conduire sur le plan éthique à penser la place et la relation aux proches pour garantir l’intégrité non pas seulement de la décision, mais aussi des conditions du deuil.

Parmi les questionnements contemporains liés au prélèvement d’organe(s), Maastricht III vient aussi réactualiser la problématique de la place des proches dans la décision de prélèvement. 

Légalement, leur rôle se limite à la transmission d’une éventuelle opposition du défunt en l’absence d’écrit ou d’inscription au registre national des refus, conformément au principe de consentement présumé. L’opposition d’un proche, en son nom propre, n’est pas reconnue par la loi. Dans la pratique, toutefois, aucun prélèvement n’est réalisé si la famille s’y oppose fermement. Les soignants font droit dans cette situation à la souffrance des familles. Or, cette position soulève une tension majeure : en évitant de heurter la famille du défunt, on prive aussi potentiellement un patient en attente de greffe d’une chance de survie. Ce dilemme fondamental, qui met en tensions deux grandes valeurs de la solidarité, a pu émerger dans les débats publics par le passé à la faveur des États généraux de la bioéthique, mais reste pour le moment en dehors du périmètre d’évolution de la loi. 

Même si cela n’est pas suffisant, la sensibilisation du grand public via des campagnes de communication est essentielle pour faciliter le dialogue avec les familles et, par là même, alléger la charge morale des équipes médicales lors du prélèvement d’organes. 

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