Colloque des ERER : la participation de l’EREGIN
Octobre 2022. L’EREGIN a apporté sa contribution au colloque national des ERER, organisé à Limoges sur le thème de l’éthique entre résistance et résilience
Une délégation de l’EREGIN a participé au colloque national des espaces régionaux de réflexion éthique (ERER) de 2022, fruit d’un travail collégial conduit par plusieurs membres du conseil d’orientation (CO) de l’EREGIN ; et en particulier par Brigitte Facorat-Gaspard, juriste. Dr Corinne Sainte-Luce, directrice adjointe de l’EREGIN, est intervenue sur le thème : Ethique et résistance en période syndémique Covid 19 – Guadeloupe 2020-2022.
L’EREGIN a évoqué ainsi les contours complexes de la résistance qui s’est instaurée en Guadeloupe durant la crise sanitaire. « Nous sommes fiers d’avoir bousculé les lignes et les inerties institutionnelles » a déclaré Corinne Saint-Luce ; une fierté partagée par les autres membres du groupe de travail composé de Marilyn Lackmy (médecin généticien et directrice de l’EREGIN) Frank Garain (sociologue), Marc Bernos (psychologue), Céline Séjor (cadre de santé) et Sandra Cayet (coordinatrice de l’espace de réflexion éthique).
Une équipe de l’EREGIN au colloque des ERER
Intervention du Dr. Corinne Sainte-Luce, Directrice adjointe de l’EREGIN puis du Dr Marilyn Irène Lackmy, Directrice de l’EREGIN
La situation de la Guadeloupe durant la crise sanitaire collait parfaitement avec la thématique du colloque national de Limoges : L'éthique entre résistance et résilience. A quels niveaux s'est justement manifestée cette résistance chez nous ?
Lorsque nous avons lu l’appel à communication pour le colloque national des espaces de réflexion éthiques régionaux (ERER), nous avons tout de suite estimé que cette thématique correspondait parfaitement à ce que nous avions vécu en Guadeloupe pendant la syndémie[1] à COVID-19 et que nous devions relater notre vécu aux membres des autres espaces de réflexion éthique.
Nous avons axé notre communication sur l’engagement des membres de la cellule de soutien éthique de Guadeloupe et des Iles du Nord (CSE-GIN) à travers lequel nous avons démontré en quoi l’éthique peut être résistante (axe 3 des thématiques proposées).
Lorsque nous avons mis en place la CSE, pour donner suite aux recommandations du CCNE[2], avec le soutien du ministère de la santé, en mars 2020, nous avons eu l’intuition que nous allions nous engager dans une forme de résistance mais nous ne savions pas encore jusqu’à quel point et sous quelle forme, compte-tenu de la complexité de notre contexte local.
Contexte que nous avons résumé à notre auditoire qui savait, via les médias, ce par quoi nous étions passés, mais n’en saisissait pas pour autant les contours, dont l’origine, à la fois politique, sociétale et socio-culturelle, est profondément ancrée dans l’histoire de notre île.
Nous leur avons décrit la crise sanitaire, extrêmement sévère, que nous avons qualifiée, non pas de vague, mais de tsunami ! Pour rappel, la mortalité pour 100 000 habitants était près de 15 fois plus élevée que dans l’hexagone (136 en Guadeloupe, 166 en Martinique pour 9 dans l’hexagone) et deux fois plus élevée que lors des deux premières vagues dans l’hexagone (66 et 76), lesquelles se sont produites lorsque nous ne connaissions pas encore le virus et les moyens de le combattre.
Deux autres facteurs ont contribué à la violence de ce tsunami : une couverture vaccinale extrêmement faible (30 % contre 80% dans l’hexagone) et un nombre très importants de personnes porteuses de maladies chroniques, facteurs de fragilité et donc de formes sévères de la maladie.
Cette crise sanitaire s’est rapidement amplifiée en raison d’une crise sociale virulente, dont l’une des principales causes est la défiance extrême de la population, braquée contre toutes formes et toutes représentations de l’autorité administrative, politique et sanitaire, identifiée comme à l’origine de postures de résistances dommageables à bien des égards.
En dépit d’un temps de parole très court, nous nous sommes appliqués dans notre présentation à exposer, dans ses grandes lignes, les sources de ce chaos, et d’en brosser le tableau, pour mieux décrire ensuite l’action de la CSE.
Une action qui s’est inscrite, elle aussi, dans une forme de résistance avec pour objectif cependant, de ne pas céder au chaos et de faire rempart à l’inhumanité qu’il générait (à la fois dans la gestion de la pandémie et dans la gestion de la crise sociale qui en a découlé).
Notre résistance a pris ainsi plusieurs formes et nous a conduits au-delà de nos prévisions :
- En premier lieu, nous avons été à l’encontre d’un certain conformisme éthique; car nous avons osé réfléchir à une procédure d’aide à la priorisation des soins que nous avons rédigée malgré nos hésitations initiales et les réticences établies ;
- Nous avons contourné la verticalité des mesures et injonctions nationales, non adaptées au contexte et à la situation épidémiologique locale, en transmettant plusieurs avis et recommandations à l’intention de nos tutelles;
- Nous nous sommes confrontés à une certaine inertie médicale (sans doute inéluctable dans cette situation inédite) qui s’est traduite par le rappel d’une nécessité absolue de remettre les actes d’accompagnement humain au centre des préoccupations des soignants par rapport aux actes uniquement techniques liés à la COVID. Nous avons ainsi été à l’origine de plusieurs dispositifs tels que l’astreinte éthique pour venir en soutien 24H/24 aux réanimateurs et personnels de services de soins critiques, l’équipe de liaison éthique composée principalement d’infirmiers et infirmières locales auxquels se sont jointes des infirmières venues de l’hexagone, en renfort sanitaire. Celle équipe de liaison éthique a joué un rôle majeur entre soignants, malades et familles.
Une autre de nos actions, majeure également, a été d’insuffler le déploiement de l’accès aux soins palliatifs pour tous les patients concernés.
- Notre réflexion éthique a fait front à la peur du vaccin. Elle a résisté dans l’analyse, la pédagogie, l’écoute, l’indulgence et le respect, contre ce que nous avons appelé «la Résistanz » issue de la défiance et des revendications locales contre la vaccination. Dès le mois d’octobre 2020, nous avons organisé un webinaire sur la « médecine de catastrophe ou comment se préparer à prendre soin dans le chaos ».
Nous avons organisé de nombreux autres webinaires pour expliquer les enjeux éthiques liés à la vaccination, à la fois à destination des soignants, du grand public, mais aussi des personnes travaillant ou engagées dans la société civile.
Avec le recul, peut-on dire que cette résistance a été salutaire pour la Guadeloupe ? Si oui, sur quel(s) point(s) ?
Rappelons que nous avions une boussole éthique pendant toute cette période extrêmement éprouvante : continuer à prendre soin dans le chaos !
Nous pouvons dire que notre phase initiale de réflexion (début 2020) s’est révélée une base solide qui a conforté la légitimité de nos interventions, en particulier durant le mois d’août 2021, au moment où la crise sanitaire était à son paroxysme. En effet, elle nous a permis d’accompagner patients et familles, de faire reconnaitre des valeurs constitutives du soin dans des procédures de gestion de crise, de donner un sens au soin face au tragique et d’être ainsi un rempart à l’effondrement des soignants. C’est ce que le Docteur Marc Valette, chef du service de réanimation au CHUG, a décrit comme : « l’effet ange-gardien, indispensable à la sérénité des prises de décision ».
Alors oui, avec le recul, nous pouvons dire que nous sommes fiers de notre démarche même si nous sommes parfois allés au-delà de nos missions. En effet, je dois le rappeler, l’objectif de l’éthique est avant tout de mener une réflexion active dans l’objectif d’agir, du mieux que l’on peut, dans un contexte marqué par la complexité et l’incertitude.
Quels ont été les retours suite à votre intervention ? Comment l'auditoire a-t-il réagi ?
A la fin des communications des uns et des autres, nous nous sommes retrouvés autour d’une collation. C’est le moment où les personnes font connaissance ou se donnent mutuellement des nouvelles des uns et des autres, des travaux engagés, des changements dans la constitution des équipes.
Plusieurs collègues des autres ERER sont venus nous remercier de la pertinence de notre présentation et adresser tout leur soutien à la population guadeloupéenne fortement impactée par la pandémie et par les mouvements sociaux qu’elle a engendrés et nourris (et inversement). Ils ont également souligné le courage que nous avons eu d’avoir « bousculer les lignes et les inerties institutionnelles ».
Replay de la table ronde introductive du colloque national des espaces de réflexion éthique régionaux, en présence des Pr Jean-François Delfraissy,
Pr Eric Fiat et Pr Pascal Plas – Mercredi 12 octobre 2022.
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